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Capitale de la merdeur

vendredi 13 novembre 2015

Nous y revoilà. À l’heure où je rédige ces lignes, les rues de mon quartier vrombissent de sirènes ; on annonce le déploiement de plusieurs centaines de soldats supplémentaires (c’est vrai, on n’avait pas assez l’habitude de croiser des uniformes dans l’espace public) ; les hautes-instances-dans-leur-grande-sagesse appellent la brave-populace à rester cloîtrée chez elle — précisément le seul soir de l’année où ma femme et moi avions choisi d’aller au cinéma ; encore heureux que nous préférions la séance de dix-huit heures trente à celle de vingt-deux heures...

Si sourde et noire qu’elle soit, ma colère n’est que renforcée par la certitude absolue que le pire reste à venir : de nouvelles cérémonies religieuses obligatoires dans les jours à venir, moult cars de CRS généreusement applaudis par les passants-décérébrés, un regain d’hystérie moralisatrice dans le système prétendument « éducatif », encore une couche supplémentaire du Grand Théâtre Sécuritariste Éculé, caméras de surveillance, militaires en armes à tous les coins de rue (célébrés dans une unanime liesse néo-pétainiste), déferlement de « valeurs » rances et moisies dans la presse, allègre communion béate de la gauche-de-droite et de la droite-d’extrême, mise à l’index de tout ce qui est insuffisamment-blanc-de-souche, insuffisamment-judéochrétien (ou « laïque », puisqu’il paraît que c’est comme ça que ça s’appelle maintenant), insuffisamment-riche, insuffisamment-parisien : musulmans, pauvres, jeunes-de-banlieue — le tir aux pigeons est ouvert. (Non qu’il ait jamais cessé au long des trente-cinq dernières années.)

Alors oui, colère. Non pas contre les « terroristes », « islamistes », « marginalisés », « radicalisés », fauteurs de troubles en tous genres : mais bien contre cette doxa de merde, anéantissement de l’intelligence et de l’esprit critique, qui a pour effet de fédérer les détraqués et de leur donner une magnifique Voie Royale : tu te sens paumé ? Mal dans tes baskets ? Vaguement suicidaire ? Désemparé face à l’état du monde et de la société ? Pas de problème : toi aussi, lance une Fusillade-dans-les-rues-de-Paris™ ! Tu seras célèbre du jour au lendemain : la totalité du champ médiatique parlera de toi en boucle ; le personnel politique dans son ensemble prononcera ton nom à la tribune ; aux Enfants-de-la-Patrie©, l’on apprendra à te craindre jusque dans leurs rêves. De plus tu n’auras à te préoccuper d’aucune conséquence : les Forces-de-l’ordre-républicaines® se chargeront de te dessouder sommairement sans le moindre état d’âme — mais en toute légalité et avec le plus profond respect pour la dignité humaine, l’Esprit-des-lois et les Valeurs-citoyennes.

Car le concept (idéologème) de « terrorisme » n’est au fond, que cela : une construction politique et médiatique délibérément anxiogène, qui désigne au corps social des repoussoirs effrayants pour mieux le conforter dans son désir de conforter le statu quo. Dominer l’imaginaire collectif, c’est s’assurer que les rapports de domination, de classe, de pouvoir injuste, arbitraire et inique, ne seront jamais remis en question. (Rejoignant en cela d’autres épouvantails sociaux classiques, tels que le pédophile aujourd’hui ou le parricide autrefois.)

Et dans ce bac-à-sable pour joyeux fossoyeurs de la démocratie et de l’intelligence, se débattront péniblement quelques rares voix à peine audibles, sommées à tout bout de champ de se déclarer solidaires-des-victimes et horrifiées-par-la-violence-de-ce-crime-indéfendable, broyées par la machine à décérébrer et par les injonctions morales comminatoires, de hashtags en circulaires ministérielles.

La colère, puis la lassitude.

Puis recommencer.

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