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Deux petits duos (et demi)

pour deux flûtes traversières

dimanche 20 février 2011, par Valentin.

Deux petites pièces (et demie) pour deux flûtes traversières, rédigées en 2003.

Voici un petit recueil de quelques duos (deux, euh non, trois, bon, disons deux et demi et restons-en là), que j’ai écrits en 2003 de façon plus ou moins informelle.

Aucune de ces pièces n’a été créée à ce jour.

Deux petits duos (et demi)
Licence CC-by-sa © Valentin Villenave, 2003-2011

Historique.

[Cliquez pour déplier.]

Pour être franc, voilà une partition dont j’avais totalement oublié l’existence depuis des années, avant d’en retrouver récemment un fragment parmi mon foutoir catalogue raisonné. À tel point que je, n’ayant retrouvé que les quatre premières pages du premier de ces duos, j’ai du en improviser la fin — et je m’avoue incapable de me souvenir si j’avais jamais écrit une « page 5 » à l’époque, ni (encore moins) ce que j’aurais pu y mettre à l’époque !

La seule chose dont je peux me souvenir, en revanche, est que mon projet initial était d’écrire non pas deux ou trois, mais cinq petits duos qui auraient été organisés comme une suite baroque. À ce titre, la première de ces pièces, avec son rythme binaire immuable, était pensée comme une Allemande, la dernière comme une Gigue, et celle à trois temps, euh... un Menuet, peut-être ? Oui bon, on fait ce qu’on peut.

Bref, je m’étais attelé à la tâche, en tâchant d’employer un langage extrêmement simple, limite néo-quelque chose, et des « briques » de construction aisément identifiables (contraintes formelles, « tons blancs » etc.) — ce qui avait inspiré à Éric Tanguy la réflexion suivante (c’est un des derniers manuscrits que je lui ai montrés) : « moui bof, tu comptes écrire combien de fois la même pièce, comme ça ? »1 Répétitif ou pas, l’exercice était surtout d’une grande austérité, et il ne m’a guère fallu longtemps pour me décourager.

Parmi les bribes que j’ai retrouvées récemment, figurait aussi un fragment dont je me souviens avoir été plutôt content à l’époque, sans être parvenu alors à le développer en une vraie pièce. Plusieurs années plus tard, j’ai essayé de m’y atteler de nouveau, sans guère plus de succès : d’où le « demi »-morceau. (Comme vous l’aurez sans doute deviné, le fragment en question se trouve mesures 12 à 17 de ladite pièce.)

La seconde de ces pièces est donc le seul manuscrit complet que j’ai édité ici. Je remercie au passage ma grand-mère, qui m’a donné un petit coupe de main pour le saisir sous GNU LilyPond :-)

L’idée de ce titre en « deux et demi », pour les geeks qui me lisent, m’est venue en compilant le présent recueil avec LilyPond, cependant que je lisais les messages de la console :

[valentin@localhost opus-libre]$ lilypond main.ly
GNU LilyPond 2.13.50
Traitement de « main.ly »
Analyse...
Interprétation en cours de la musique...[8][16][24][32][40][48][56][64]72][80][88]
Pré-traitement des éléments graphiques...
Interprétation en cours de la musique...[8][16][24][32][40][48][56][64]72][80][88]
Pré-traitement des éléments graphiques...
Interprétation en cours de la musique...[8][16][24][32][40][48]
Pré-traitement des éléments graphiques...

Comme vous pouvez le voir, le nombre de mesures dans la troisième pièce est nettement inférieur aux deux premières : de là vient cette impression que l’on n’a pas affaire à trois pièces, mais seulement « deux et demi ».

Description.

[Cliquez pour déplier.]

Avertissement : comme toujours, les quelques indications qui suivent ne sont livrées qu’à titre de curiosité, et ne sont pas nécessaires à la compréhension de la partition !

Écriture instrumentale

Il s’agit donc d’écriture en duo, avec toute la panoplie d’échanges et d’imitations que vous pourriez vous attendre à y trouver (c’est d’ailleurs, de nouveau, un signe vers l’écriture instrumentale baroque dite da camera). Quant aux rythmes et métriques, ils sont comme toujours relativement simples.

J’attire votre attention sur la façon dont les flûtes sont utilisées, en particulier dans la dernière (demi-)pièce, en nappes de son2 : c’est là une écriture qui conviendrait presque mieux à la clarinette qu’à la flûte (et là, je pense très fort, par exemple, aux glouglous de bois qu’on trouve au début du Troisième Concerto pour piano de Prokofiev juste au moment de l’entrée du piano, et que personne n’entend jamais).

Outre sa capacité à produire des nappes de son, la clarinette possède un autre avantage en comparaison de la flûte : sa grande cohérence de volume entre les registres. En d’autres termes, une clarinette peut jouer doucement ou fort (piano ou forte) qu’elle joue grave ou aigüe ; la flûte, elle, n’a que très peu de puissance dans le grave3 mais ses notes les plus aiguës sont toujours très, hum, présentes.

Ce n’est pas nécessairement un problème lorsque, comme c’est le cas dans la plupart des langages musicaux, la voix du dessus « domine » celle du dessous qui lui sert de contrepoint4. Cependant je voulais parvenir à la plus grande égalité possible entre les deux parties, ce qui m’a conduit à tricher de diverses façons : croisements, faux unissons, etc. Un procédé efficace, quoi que peu subtil, est d’« installer » la partie la plus faible en la lançant dans des répétitions en boucle, ce qui fait que l’oreille y est habituée et continuera donc à l’entendre même si d’autres sons viennent la couvrir : c’est un peu ce qui se passe ici à la mesure 42 de la dernière pièce, où la première flûte pousse vers le suraigu alors que la seconde flûte joue sa note la plus grave.

Des modes

Comme je l’évoquais plus haut, ces pages sont les dernières que j’aie écrites à l’époque où je fréquentais le compositeur Éric Tanguy dans la « classe de composition » qu’il venait d’ouvrir dans un conservatoire d’arrondissement à Paris. Le langage qu’il utilisait alors, je l’ai déjà dit ici ou (ou encore ), était un langage modal, c’est-à-dire une forme de musique dans laquelle l’on utilise une gamme arbitraire différente de la gamme « classique » à laquelle nous sommes habitués.

Cette gamme (on va dire « mode » pour faire plus classe), elle peut être inspirée des langages occidentaux de l’Antiquité ou du Moyen-Âge, de langages non-occidentaux, ou encore construite avec des intervalles choisis de façon plus ou moins mathématique ; ces trois voies différentes ont toutes été exploitées à la fin du XIXe siècle, notamment par Claude Debussy.

Comme quoi tout ça est vachement neuf.

Un exemple de mode : la gamme par tons de Debussy

Pour peu que l’on ne se serve pas de micro-intervalles (vous savez ce que j’en pense), ce qui est le cas de la plupart des langages modaux, alors il devient très facile de décrire un mode, en comptant simplement les demi-tons qui séparent chaque note. Dans ce format, le mode « par tons » ci-dessus se décrirait ainsi 2 - 2 - 2 - 2 - 2 - 2, et la gamme majeure traditionnelle se noterait 2 - 2 - 1 - 2 - 2 - 2 - 1 (les chiffres 1 correspondant aux endroits où il n’y a qu’un demi-ton, c’est-à-dire entre mi-fa et si-do par exemple).

Il ne vous aura pas échappé que, dans chacun de ces cas, la somme des chiffres est de 12 : c’est que tous ces modes sont octaviants, autrement dit, si vous partez de do, vous retomberez sur do après avoir fini votre gamme. Le sport national de la classe d’Éric Tanguy était ainsi de trouver des combinaisons sympas pour arriver au nombre 12, Éric étant par exemple particulièrement fier (à raison) de son mode 1 - 2 - 1 - 3 - 1 - 4.

Pour ma part, j’avoue m’être très tôt senti gêné par la rigueur qu’impose un langage modal5, et en particulier par la difficulté qu’il y a à jouer sur le degré de polarisation : en d’autres termes, on se retrouve très vite à devoir affirmer une « tonique », à gérer son parcours de modulations, etc.

Une réponse possible est d’utiliser des modes non-octaviants : en sortant du cadre de l’octave (qui est pourtant naturel à l’oreille), l’on tombe dans des échelles plus riches, plus complexes — mais il devient vite difficile de continuer à parler de mode6. Pour ma part, j’avoue m’être beaucoup amusé avec les modes double-octaviants dont j’ai déjà donné un exemple ailleurs, et dont voici un autre exemple en forme de miroir :

Sur deux octaves, en miroir
2 - 3 - 2 - 1 - 3 - 1 / 1 - 3 - 1 - 2 - 3 - 2

Vous n’aurez, bien sûr, aucun mal à deviner laquelle de ces trois pièces est écrite (presque) entièrement sur ce mode.

Constructions harmoniques

Comme je l’ai dit de nombreuses fois, une échelle de hauteurs peut être aussi bien qualifiée de gamme, de mode ou d’accord ; tout dépend de la manière dont vous vous en servez. Après tout, la terminologie que vous utilisez n’est, dans bien des cas, qu’une tentative de justifier a posteriori ce que vous avez écrit, ou d’expliquer pourquoi quelque chose vous a plu.

Un exemple s’en trouve dans mesure 41 de la dernière pièce : vous pouvez très bien la lire comme de la purée de cycles de quintes et de quartes... Mais les premières notes de la Flûte Un sont en fait un (très lointain) pompage d’une (excellente) comédie musicale américaine : Into The Woods7, dont c’est l’un des motifs récurrents et que j’écoute en boucle depuis deux mois :

Mais prenons, si vous le voulez bien, un autre exemple plus marquant. Je vous invite (très chaudement), si vous ne le connaissez pas, à écouter en entier le premier mouvement du Concerto pour deux pianos de Francis Poulenc, qui commence et s’achève sur l’harmonie suivante8 :

Bon. Un accord, un mode ? Un bout de gamme tonale bidouillée ? Comment expliquer cette harmonie, et le fait qu’elle me plaise autant ? (Et surtout, la vraie question beaucoup moins avouable : Comment vais-je pouvoir repomper ce machin dans ma propre musique sans en rougir de honte ?...)

Voici la solution que j’ai trouvée :

Interpolation d’intervalles
(parce que je le vaux bien)

Ne dirait-on pas une super échelle modale non-octaviante archi-sophistiquée ? Et pourtant le fonctionnement est simple : un cycle d’intervalles de triton (6 demi-tons) superposé à un cycle de quartes (5 demi-tons). C’est tout bête, ça fonctionne9 et c’est cadeau, ne me remerciez pas10.

Cela fonctionne aussi très bien avec des quintes (voir la fin de cette même pièce), ou d’autres intervalles11 : toi aussi ami lecteur, essaye chez toi différentes combinaisons et envoie-nous tes plus belles réussites ! (C’était notre rubrique musique contemporaine au Club Mickey®.)

Là encore, je ne vous ferai pas l’injure de vous dire laquelle des mini-pièces de ce mini-recueil « tourne » sur ce dispositif harmonique, riche de couleurs et de luminosité. J’espère être parvenu à rendre tout cela ici, même de façon fugitive ; nous le saurons si cette pièce est jouée un jour...

Bonne lecture !
Valentin.


[1Remarque dont certains n’hésitent pas à l’appliquer aussi bien à sa propre musique ; ma réponse, invariablement, est que cela n’empêche pas d’être un grand compositeur.

[2Je ne suis pas entièrement sûr que ce terme soit très répandu ; je l’ai pompé dans un article sur John Coltrane.

[3Elle compense cette faiblesse par un son d’une chaleur inimitable, dont les auteurs de musiques de films et de séries étaient friands dans les années 1960-1970.

[4La numérotation en vigueur entérine d’ailleurs cet usage : ainsi, un « Violon 2 » jouera toujours plus grave qu’un « Violon 1 », et souvent il sera même... moins bien payé !

[5Et de fait : après cinq siècles où les compositeurs n’ont eu pour seul but que de sortir du cadre tonal et consonant, ça fait un poil bizarre de se retrouver à ne plus pouvoir « faire de fausses notes »...

[6Du moins au masculin... (Je sais, je ne devrais pas.)

[7Entièrement écrite par le non moins excellent Stephen Sondheim, un de plus grands dramaturges et compositeurs du XXe siècle qui s’apprête à fêter ses 81 ans au moment où j’écris ces lignes.

[8La fin de ce mouvement, en particulier, me semble extrêmement intéressante : même si elle est écrite suivant un dispositif classique mélodie/accompagnement, ce dernier finit par prendre le dessus sur la mélodie et forme une texture sonore, pour ne pas dire une trame (comme on dit en musique électro-acoustique), qui se suffit à elle-même en tant qu’objet musical. Ce type de pensée (également préfiguré chez Stravinsky) me semble très moderne ; il trouvera son prolongement direct dans la musique minimaliste de la fin du XXe siècle.

[9J’ai d’ailleurs ré-utilisé ce procédé dans mon premier opéra, notamment l’« Air de la Reine » acte I scène 2.

[10Je suis à peu près certain, notez, de ne pas être le premier à y penser — même si je suis sans doute le premier à le vendre en étant tout fier d’avoir réinventé l’eau tiède.

[11Toujours dans cet opéra, je pense aux descentes/montées de clarinette dans le petit duo entre le Roi et la Reine juste après la "scène du dîner, acte 1 scène 4, qui sont un vrai catalogue d’interpolations intervalliques.

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