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Concertino

pour piano et orchestre d’élèves

samedi 8 janvier 2011, par Valentin.

Cette pièce très hollywoodienne a été rédigée en 2005 comme un canular ; elle est ici présentée dans une édition provisoire.

En 2004-2005, un ami (alors) proche, du nom de Léo Warynski, s’est vu proposer la direction d’un orchestre d’élèves dans une petite école de musique de Seine-et-Marne. Il a saisi l’occasion pour me proposer, très généreusement, d’écrire cette pièce « sur mesure » pour ses élèves.

Le projet de la pièce reposait sur un canular : il s’agissait de faire croire aux élèves qu’ils allaient jouer, en avant-première, la musique d’un film américain (dont la partition était écrite sous un pseudonyme). Les délais s’étant avérés sous-estimés pour lui, la pièce n’a finalement jamais été créée.

« Time Lines », Concertino pour piano et orchestre d’ élèves
Licence CC-by-sa © Valentin Villenave, 2004-2010

Important : À titre exceptionnel, cette pièce n’est pas publiée sous une licence alternative. Je ne juge pas la présente édition1 digne d’être diffusée librement, et je souhaite réviser et rééditer entièrement cette pièce dans les mois à venir. Dans l’intervalle, je me permets donc de vous demander de ne pas distribuer de copies de cette partition.

Les parties d’instruments transpositeurs sont ici notées en sons écrits, non en sons réels. Partout où la partie de piano est écrite sur trois portées, la portée du haut se lit une octave au-dessus.

Historique.

[Cliquez pour déplier.]

Novembre 2004.

Drrring.

— Allô ?

...

— Salut Léo, je me demandais justement comment ça s’était passé pour toi... C’est une super nouvelle qu’ils t’aient engagé ! Diriger son propre orchestre à 22 ans, tu te rends compte ?

...

— Oui oui, je sais que ce n’est qu’un petit orchestre d’élèves, mais quand même ! (vilement intéressé) Au passage, tu sais que j’aime beaucoup écrire pour les orchestres d’élèves...

...

— (après un bref instant d’ébahissement) ... Carte blanche ? Mais c’est génial ! Je serai ravi de t’écrire quelque chose sur mesure ; par exemple ça pourrait être un mini-concerto pour piano, et je pourrais moi-même venir jouer la partie de soliste ?

...

— Ah, je saisis : tu veux leur présenter ça comme une musique de film, histoire de les motiver ? Pas de problème : il faudrait trouver un titre genre gros film d’action américain, je vais y réfléchir...

...

— Non non, ça ne me dérange pas : moi-même ça m’amuserait beaucoup d’écrire ça dans un style très hollywoodien... Et puis je pourrais signer sous un pseudo. Tiens, par exemple euh... Adam Jones !

...

— Des recommandations à me faire ? Oui oui, vas-y. Puisque j’écris sur mesure, je m’adapterai.

...

— Tu n’as pas de percussionniste ? Bon, pas grave. Ni de contrebassiste ? Bon bon, on fera sans. Les cordes ne sont pas hyper assurées ? J’ai l’habitude. Surtout les violoncelles ? — Attends, je prends de quoi noter...

...

— Oula, moins vite. Attends, je récapitule : tu n’as qu’une seule bassoniste, et elle n’est pas très forte ; tu as deux trompettes mais la deuxième n’est pas très avancée non plus ; un seul cor, mais deux saxophones qui jouent bien et qui peuvent remplir les trous... C’est bien ça ?

...

— Ahem. Bbbon. Okay, je vais voir ce que je peux faire. Sinon, c’est toujours okay pour le film de zombies demain soir ?

Février 2005.

— Allô Léo ? Oui, c’est Valentin. Bon, j’ai terminé la partition pour l’orchestre ; je n’ai pas écrit la partie de piano mais je sais assez précisément ce qu’elle sera. Et puis de toute façon, si c’est moi qui dois la jouer... Pardon ?

...

— Comment ça, un voyage en Israël avec l’orchestre ? Et parce que vous faites un voyage organisé par la mairie, vous devez jouer tel répertoire plutôt que tel autre ?

...

— Oui oui, je comprends bien que vous manquez de répétitions. Mais aussi, tu te rends compte du nombre d’œuvres que tu t’es mis en tête de leur faire jouer ? Évidemment que le temps allait vous manquer...

...

— Mais je sais bien que tu fais ce que tu peux. De toute façon, je ne suis pas pressé moi. Si vous travaillez ma pièce après le voyage, pour le concert de fin d’année, il vous restera, quoi, trois mois ? Ça devrait pouvoir marcher non ?

...

— Bon bon. Ne t’en fais pas pour ma pièce, même si vous ne la jouez pas dans l’immédiat, je n’en ferai pas une jaunisse ; et puis, je me doute bien qu’elle ne doit pas être évidente à mettre en place !

...

— Je te remercie, mais tu n’as pas besoin de me faire de promesses. Écoute, concentre-toi pour l’instant sur ce voyage, bossez les œuvres que vous avez commencé à travailler... et puis dans quelques semaines tu verras bien où vous en serez.

...

— Mais oui, je sais que tu me tiendras au courant. Et puis, on se croisera sûrement au conservatoire.

Juin 2005.

— Allô Léo, c’est encore Valentin. Je ne sais pas si tu as eu mes messages précédents, mais j’appelais juste pour avoir des nouvelles — rien de bien important, je me doute que tu dois être très occupé avec tes postes de chef d’orchestre, de chef de chœur, tes études prestigieuses et tout. (Oui j’avoue, je suis jaloux.) Enfin. De mon côté, je commence à réfléchir à un projet d’opéra... Ça aura sûrement encore moins de chances d’être joué que mon concertino, mais bon, faut bien s’occuper. Bref, appelle-moi quand tu auras cinq minutes : un de ces jours, il faudrait peut-être qu’on discute un peu, enfin, je me dis ça, je ne sais pas.

Description.

[Cliquez pour déplier.]

Avertissement : comme toujours, les quelques indications qui suivent ne sont livrées qu’à titre de curiosité, et ne sont pas nécessaires à la compréhension de la partition !

Esthétique

Comme je l’ai expliqué ci-dessus, cette pièce se situe très ouvertement dans un style « américain », que l’on pourrait aussi qualifier de post-minimaliste2. Cette écriture se distingue notamment par :

  • une forte polarisation (qui peut même conduire, sur certaines pages, à parler de musique tonale3), encore que l’on peut jouer sur le degré de polarisation (d’autres pages sont absolument dépolarisées, même si l’on ne s’en rend pas forcément compte à l’audition).
  • des échelles modales (voire tonales, cf ci-dessus) octaviantes4
  • des répétitions/décalages rythmiques, et plus généralement un discours rythmique très pragmatique qui privilégie l’immuabilité de la pulsation (ici avec les double-croches par exemple).

Le titre de cette pièce, Time Lines, fait (de très loin) allusion au quatuor à cordes de Pascal Dusapin, Time Zones (1989), une de ses rares pièces dont j’apprécie quelques pages — oui, un de ces jours je vous dirai ce que je pense de Dusapin, promis (non que ça ait la moindre importance, du reste). Choisi pour son aspect très branché et américain5, ce titre n’a absolument pas la moindre signification d’un point de vue musical6. Le lecteur de ma génération pourra, en revanche, y voir une allusion au film Fight Club7...

Construction

Très « classique » dans son architecture, cette pièce est découpée en trois sections (vive, lente, vive). Les mesures sont organisées par carrures égales, faisant généralement intervenir des nombres impairs (de préférence 3 et 7) : ainsi le piano entre après trois carrures de sept mesures à trois temps.

Plutôt que d’utiliser des mesures à 7/4, qui seraient longues et potentiellement difficiles à compter pour des élèves, j’utilise des changements de chiffres de mesure, par exemple en écrivant deux mesures à 2/4 suivies d’une mesure à 3/4, ou inversement. Ainsi, la section qui va du repère A au repère H est écrite uniquement suivant cette logique simple (voire simpliste). Chaque changement de carrure s’accompagne d’une « modulation » bête-et-méchante, c’est-à-dire d’un changement de note polaire.

Cette écriture par blocs, très logique et efficace (à défaut de sophistication), est très utilisée dans la musique américaine mais également dans une certaine musique française. Ainsi, cette pièce porte l’influence manifeste d’Éric Tanguy, que j’avais fréquenté quelques années auparavant8.

Ayant écrit cette pièce spécialement pour un orchestre d’élèves bien précis, j’ai dû me plier à des contraintes et faire des choix parfois frustrants, que je n’aurais jamais faits autrement9. De fait, la partie de piano est écrite pour combler quelques lacunes de l’orchestre, en matière de gestes musicaux et d’expressivité, de sonorité (elle fournit notamment la plupart des basses), de complexité rythmique et harmonique (ce qui se remarque en particulier dans la section lente) ; c’est donc presque autant une partie soliste qu’un accompagnement.

Motifs et harmonies

Le « thème », comme à mon habitude, fait intervenir très peu de notes10. Le voici dans un rythme approximatif :

Ce motif est évidemment construit sur l’échelle 1-2-3 dont j’ai parlé précédemment. Elle est parfois développée en miroir, comme dans le motif suivant qui interrompt parfois le discours (et qui conclura également la pièce) :

c’est-à-dire 1-2-3-2-1 si l’on compte les demi-tons :

Si l’on reproduit cette échelle trois fois, l’on obtient l’échelle suivante, 1-2-3-2-1-2-3-2-1-2-3-2 :

... qui possède de nombreuses propriétés intéressantes :

  • elle est double-octaviante, et se distingue donc des modes octaviants habituels
  • elle est intégralement chromatique (elle donne à entendre, une et une seule fois, chacune des douze notes du tempérament)
  • elle est à transposition limitée
  • si l’on filtre une note sur deux, l’on obtient une très jolie suite d’accords parfaits renversés :

C’est une échelle que j’utilise beaucoup : sous ses airs très familiers (tempérament, accords parfaits, motifs aisément identifiables et polarisés), elle permet d’évoluer insensiblement vers un discours beaucoup plus complexe (chromatisme total, non-octaviant, multiplication des polarités ou dépolarisation), ce qui offre des effets expressifs et des gestes dramatiques remarquables11.

La section « lente » du milieu se construit, non plus sur simplement 1-2-3 mais 1-2-3-4-5-6-7-8-9-10-11 (ainsi que l’inverse) :

Sans les commenter en détail, je releverai dans cette section quelques autres motifs que j’ai pu utiliser dans d’autres pièces, comme cet agrégat aux violons repère L :

Cet accord très dissonant au piano, repère I, et dont je reparlerai prochainement pour une autre partition légèrement antérieure :

Ou bien le motif en croches et en mode 3.1 au piano repère J que j’ai précédemment utilisé dans mon trio ; ou encore l’accord mineur de neuvième au repère K, qui m’avait très probablement été inspiré par la musique de Giya Kancheli, dont j’étais à l’époque un très grand fan, accord que j’ai recyclé sans vergogne dans le premier interlude de mon opéra (oui, je devrais avoir honte).

Conclusion (provisoire ?)

Je suis reconnaissant d’avoir eu l’occasion de l’écrire (Léo, si tu passes par ici... merci pour le poisson). Il y a ici quelques idées dont je suis plutôt content, et en particulier la partie de piano me semble plutôt amusante à jouer sans être déraisonnablement virtuose. Cependant j’aimerais pouvoir réécrire cette pièce d’une façon plus développée, plus courageuse peut-être.

Je suis précisément en train de rédiger (« d’après de vieux cahiers » comme dit Prokofiev) un véritable concerto pour piano, pour lequel ce Concertino ferait peut-être un bon troisième mouvement... Avec un peu de chance, je pourrai donc un jour présenter une version plus complète et aboutie de la partition ici ébauchée.

Il s’agirait avant tout d’un travail de réorchestration12, mais pas seulement : je pense qu’en l’état ce mouvement est trop court, trop condensé... et je ne suis pas non plus certain d’assumer entièrement son côté clinquant.

(Ceci étant, bien sûr, « on a long enough time line » !)


Bonne lecture !
Valentin.


[1Édition réalisée en 2005 au moyen d’un logiciel propriétaire — certes copié illégalement, mais cela n’excuse rien.

[2L’influence de John Adams, par exemple, est non seulement perceptible mais explicitement revendiquée

[3Système tonal que je caricature d’ailleurs moi-même à la toute fin de la pièce, avec une cadence parfaite humoristique.

[4Je me suis amusé à basculer par moments dans des échelles non-octaviantes pour dépolariser le discours, mais dans ce genre de cas l’oreille entend plutôt des superpositions d’accords qu’une échelle non-octaviante à proprement parler.

[5... Ou hong-kongais ?

[6Je me souviens avoir hésité à écrire timeline en un seul mot (à l’époque, Twitter n’avait pas encore fait son apparition) — il avait d’ailleurs déjà été utilisé au cinéma.

[7On a long enough time line, the survival rate for everyone drops to zero. — La citation du livre est légèrement différente : On a large enough time line, the survival rate for everyone will drop to zero.

[8Pour la petite histoire, la présente pièce est d’ailleurs écrite d’après une une sonate pour violoncelle et piano que je lui avais présentée en 2003 (et que je n’ai jamais menée à bien)... et dont on m’a rapporté que des motifs s’étaient retrouvé dans ses propres compositions ultérieures ! Ce qui ne m’a d’ailleurs pas posé de problème majeurs, même si nos relations étaient entretemps devenues nettement moins cordiales pour finir par cesser complètement.

[9À commencer par l’absence de contrebasse ! Deux autres exemples : le motif donné mesure 207 aux clarinettes et hautbois, que j’aurais préféré donner aux trompettes ; le riff de violoncelles mesure 43, que j’ai dû écrire en croches plutôt qu’en double-croches de crainte qu’il ne soit trop difficile — ce qui m’a dès lors obligé à confier les double-croches au piano.

[10... Et commence par les notes mi fa, comme dans la plupart de mes pièces depuis 2003.

[11Toujours pour la petite histoire, je me souviens qu’Éric Tanguy avait été très intéressé par mes travaux sur les modes double-octaviants, et je crois qu’il s’en est inspiré par la suite — avec d’ailleurs mon autorisation cordiale.

[12Ce qui ne manque pas de piquant, puisque j’ai à l’origine écrit cette partition sans la partie de piano : il s’agirait là de l’exercice inverse !

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